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Au début des années 1970, le magazine Pif Gadget fit découvrir aux enfants l’existence des pois sauteurs, surnommés « pifitos ». Il s’agissait de graines qui se mettaient soudain à sauter, de manière imprévisible et totalement surprenante. En réalité, ces petits bonds étaient provoqués par des larves de papillon qui se développaient dans la graine et la faisaient ainsi bouger.
Pif importa du Mexique dix millions de pois sauteurs et renouvellera l’expérience en 1988 et en 2005. Aujourd’hui, entre possesseurs de coutelas de Rahan, adulateurs de « pifises » et de « pifitos », nous formons une vaste communauté invisible et paisible. Sans toujours savoir que ces illustres pois furent à l’origine, bien des années plus tôt, d’une brouille entre Roger Caillois et André Breton.
Etre l’objet du courroux du grand surréaliste ne relève pas de l’exploit : Desnos, Prévert, Aragon, Bataille et bien d’autres y parvinrent aisément, pour divers motifs. Lacan, lui, fut mis au ban pour s’être marié à l’église : Breton déchira, en public, son faire-part puis envoya les morceaux au futur marié.
Avec Caillois, la rupture survint en 1934, dans un café, devant le spectacle bondissant de ces fameux pois. L’historien d’art René Huyghe décrit ainsi la scène : « Ces graines agitées et tressautantes tranchaient sur l’habitus paisible de cette légumineuse et excitèrent en André Breton un sens du mystère, un délire, toujours avides de s’exercer. Il s’extasia sur le prodige. Il fut seul. »
Car, dit Huyghe en s’adressant à Caillois, « votre rigueur intraitable s’insurgea, exigea qu’on ouvrît le corps du miracle, afin d’en trouver l’explication, que vous soupçonniez être un insecte ou un ver prisonnier à l’intérieur. Breton s’interposa, cria au sacrilège, fulmina l’anathème contre l’exterminateur de mythes que vous prétendiez devenir ». Ce sera la fin du compagnonnage surréaliste de Caillois.
On peut trouver le motif futile. On est pourtant au cœur de l’entreprise intellectuelle de Caillois qui ne souhaite pas s’enivrer du mystère mais le comprendre : « L’irrationnel soit, mais j’y veux d’abord la cohérence », écrit-il dans sa lettre de rupture. Caillois est un héritier des hommes de la Renaissance, des Lumières, il voue un culte à la raison, à l’analyse. Il décortique, compare, ausculte et démonte tout ou presque. Il se méfie des « escroqueries » de la littérature, des « supercheries » de la poésie, des facilités de l’occultisme.
Ce qui ne l’empêche pas, bien au contraire, et c’est peut-être pour cela qu’il peut sembler déroutant, d’être fasciné par les masques, la magie, les rituels, le vertige. Ce qu’il refuse, c’est de tomber dans une forme d’« hédonisme intellectuel ». Ce qu’il souhaite, lui, c’est lancer des ponts entre la raison et l’imagination, partir en quête de l’unité, des cohérences aventureuses du monde. Il croit en la force d’une « raison créative », se rapprochant ainsi de Bachelard.
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